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PILOTER A UNE MAIN

vendredi 15 février 2008, par ppmenegoz

Des principes au menu ou, le prix de la liberté

La liberté c’est pouvoir choisir… choisir de faire ou ne pas faire… choisir de ne pas lâcher les commandes ou bien de les lâcher. Il faut alors en connaître le risque et les raisons mécaniques qui l’expliquent. En attendant de savoir avec précision quand on peut le faire… « On ne lâche pas les commandes » : ceci est un principe qui nous protège le temps d’acquérir le discernement pour éventuellement le dépasser… en connaissance de cause donc… en homme libre !

Piloter à une main

On pourrait certainement débattre de l’aspect technique de l’envol de ce jeune pilote qui s’éloigne du sol, ballotté par les premiers thermiques de cette journée de Juin. On a déjà vu pire. Lorsqu’il lâche ses commandes, c’est pour s’installer plus confortablement dans sa sellette. Il aurait été dangereux de le faire freins en main...

L’aile débridée, son incidence est au minimum. Le profil tendu par la vitesse est surpris par le boulet thermique qui s’extrait soudainement de la brise de pente de cette face Sud. C’est juste au moment où les deux mains du pilote ont obtenu le confort de l’assise ; là, un drap lamentable et sans consistance, les trois quarts de la voile qui s’effondrent, cisaillées par ce soudain et tumultueux bouillonnement.

La suite est sans intérêt. Je la laisse à l’imagination, je l’immole sur l’hôtel du dieu qui veille au contenu de nos leçons.

Ø Quelques questions !

Ce jeune homme savait il quel risque il prenait en lâchant ses commandes ? L’avait on éduqué en lui disant sans aucune nuance qu’il pouvait lâcher ses commandes pour s’aider à s’installer en sortie de décollage ? Qu’il était, de plus, normal et systématique d’avoir à s’aider des mains pour s’installer dans sa sellette ? A moins qu’il n’ait simplement copié ce biplaceur référent qui, dans le meilleur des cas, se l’autorise sans risque aucun puisque que les conditions aérologiques s’y prêtent ?

Plus largement… Quelqu’un lui a-t-il dit que comprendre son environnement c’est le libre arbitre, c’est un morceau de liberté qui surgit laissant chacun devant un vrai choix et non celui prit par défaut ?

Le défaut est de ne pas savoir faire autrement, prisonnier de la médiocrité parce que l’ignorance nous préserve de voir plus largement un ensemble, un tout dans lequel la problématique devient compréhensible, pouvant être démêlée par chacun. Quelle école de pilotage de parapente aura apporté cette vision, ce cap à suivre dans notre éternel apprentissage ?

Ø La théorie : comprendre c’est prendre du pouvoir sur son appréhension

Sait on seulement que l’Homme a inventé un langage à son service pour décrire et comprendre les choses de l’existence ? …que, bien que n’ayant rien à envier à un animal si prompt à la peur, il possède un esprit logique pour le dompter, l’apprivoiser ? S’apprivoiser soi-même dans son dépassement, se connaître, se respecter, se donner les moyens de progresser, avec douceur et compréhension. En définissant les notions de vent relatif, de trajectoire et d’incidence, dont les chiens n’ont que faire, il s’arme des outils qui le protègent de la terreur, du hasard, de la faute à « pas de chance » ou des comportements rituels et superstitieux.

Ø Piloter à une main

Ainsi se libérer d’une main en continuant d’assurer un minimum de pilotage pour sa sécurité est un objectif pour accéder au statut de pilote. C’est plutôt facile et ça rend de grands services. Comme je me permets de le dire à mes jeunes élèves pour les aider à se motiver – « …cela vous sera utile pour allumer d’une main la radio que j’aurai oublié d’allumer pour vous… »

En sortie de décollage, même encore inconfortable, si vous devez vous aider d’une main pour vous installer, il vous faut reculer votre tête pour pouvoir prendre vos deux commandes dans une main au niveau du casque. Votre main ne doit pas le faire en faisant passer votre bras en avant de vos élévateurs mais bien entre votre tête et ces derniers, ceci afin de préserver un débattement horizontal qui ne sera pas entravé par un faisceau d’élévateur. Pour ce qui est de l’installation dans la sellette, afin de ne pas risquer une ouverture intempestive du parachute de secours, il est conseillé de libérer la main opposée au côté où se situe votre poignée. En effet, une main impatiente et aveugle, en cherchant un point d’appuis sur la sellette, pourrait opérer son extraction par mégarde…

En roulis : Même mal installé, piloter la trajectoire se fait en déplaçant la main qui tient les deux commandes à l’horizontale et du côté opposé à la trajectoire convoitée. Simultanément le genou est relevé pour aider à appliquer le poids du corps sur le faisceau d’élévateur du côté ou l’on veut infléchir la trajectoire. Ainsi, si l’objectif est de contrer une déviation du cap sur la gauche, on relève légèrement le genou gauche en déplaçant son buste à droite et sa main à gauche… ceci pour actionner le frein du côté droit… Pendant ce temps, l’autre main libre peut s’activer et… composer le numéro de téléphone de la femme de votre vie pour lui annoncer. « Ma chérie, devine d’où je t’appelle... »

En tangage : Le seul fait de tenir les deux commandes d’une seule main au niveau de son casque bride légèrement notre aile. Ainsi le risque d’une fermeture est déjà sérieusement reculé. Toutefois, si une fermeture de l’aile devait s’amorcer, une traction verticale qui approcherait la main du nombril suffirait à résoudre le problème.

Le geste est le même pour contrer une bascule du profil vers l’avant tant que cette abattée reste d’amplitude modérée. En devoir d’amortir un très gros shoot, nous ne pourrions pas aller au-delà du nombril sans avoir repris nos commandes normalement.

A l’expérience on finit par avoir une habileté et une aisance non négligeable pour non seulement garder un cap mais aussi envisager d’entretenir un virage en thermique, contrer quelques turbulences, tout en prenant des photos par exemple (la précaution est de ne pas le faire à proximité d’autres ailes ou trop près du relief cela va de soit !).

Ø Pour finir

Voilà c’était ici l’occasion de rappeler aux anti-conformistes, dont je fais parti, que les principes peuvent avoir du bon. Qu’il faut savoir pourquoi ils existent si on envisage de les dépasser. A ceux qui n’aime pas franchir les barrières des principes, allez chercher ce dépassement en vous rendant compétent pour le faire. C’est un pas vers la liberté. On peut donc lâcher les commandes à l’occasion d’un air calme, et sans surprises. Prenons simplement le temps d’acquérir l’expérience de pouvoir identifier cette aérologie avec certitude pour pouvoir sereinement utiliser nos mains à d’autres tâches que celle de piloter. Prenons le temps d’apprendre que, commandes lâchées, ce risque de fermeture augmente d’autant plus avec la performance des ailes et l’accroissement de leur vitesse. Vous devez le savoir avant d’essayer un profil de catégorie supérieure à vos habitudes. Nous n’aurons alors plus qu’à veiller à l’image que nous voulons donner aux jeunes pilotes qui pourraient très justement être tentés d’apprendre par mimétisme de leurs aînés, un geste, une attitude qui, sortis de leur contexte pourrait être dangereux pour eux.

Pierre-Paul MENEGOZ